Du miel de qualité produit de façon durable, autonome, en prenant soin de la biodiversité
Antoine a 49 ans, il est apiculteur depuis 2003 en Alsace. Il exerce en tant que professionnel depuis 2006 et sa production est labellisée en agriculture biologique depuis 2008. Actuellement, il conduit un cheptel d’environ 200 ruches de production qui se trouvent en plaine au printemps (notamment dans une réserve naturelle) et en montagne en été, le tout dans un rayon de 40 km. Il a toujours cherché à améliorer sa pratique. De plus, Antoine travaille aussi depuis 2001 pour un bureau d’étude en génie écologique. Avant cela, il était géomètre-topographe mais les projets qui s’offraient à lui n’étaient autres qu’implanter des autoroutes, des stations de ski, etc. Il avait alors décidé d’évoluer vers des métiers qui cadrent mieux avec ses valeurs écologiques de sobriété énergétique, de gestion raisonnable de l'eau et des déchets, de protection de la biodiversité, etc.
Du miel de qualité produit de façon durable, autonome, en prenant soin de la biodiversité
SOMMAIRE
1. Une attention particulière portée à la biodiversité de ses parcelles : bon pour la biodiversité, bon pour les abeilles.
- Des vergers extensifs agrémentés d’espaces diversifiés
- La valorisation d’une ancienne dépression en mare temporaire dans le cadre du projet « Trame Verte et Bleue »
2. La production d’un miel de qualité avec une attention portée aux abeilles et une gestion extensive du rucher
- Un miel récolté bien mûr et sans le chauffer
=> Focus : sa pratique du déplacement des ruches face au désert floral - Pour la gestion du varroa : traiter suffisamment tôt et donc ne pas viser à tout prix la production de miel
3. La transformation d’une partie de la production en vinaigre et nougat de qualité
- La transformation pour diversifier sa production
- La fabrication du vinaigre selon une méthode à l’ancienne, maintien d’un savoir-faire artisanal face à l’industrialisation de la production du vinaigre
4. Une volonté d’autonomie, de gestion et de rationalisation du travail, et de diminution de l’impact écologique de ses activités
- Une démarche progressive afin de se libérer du temps pour d’autres activités
- La pratique de la sélection massale : autonomie dans l’élevage et la gestion de la diversité génétique des abeilles
- Des activités actuellement situées sur des lieux différents, qu’il prévoit de regrouper
- Circuits-courts, bâtiment autonome en énergie solaire, transport bas carbone, gestion de l’eau : la transition de la ferme est en cours
FICHE
1. Une attention particulière portée à la biodiversité de ses parcelles : bon pour la biodiversité, bon pour les abeilles
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Des vergers extensifs agrémentés d’espaces diversifiés
La démarche d’Antoine n’est pas uniquement de valoriser son terrain pour le cultiver. Il dispose de diverses parcelles dont il est locataire ou propriétaire. Ce sont principalement des vergers extensifs dans lesquels étaient déjà présents des espaces de ruchers, de forêts, de plantations qu’il a conservés. Il y a aussi intégré d’autres espaces diversifiés, d’autant que la gestion des milieux naturels était son métier de base. Depuis longtemps il a installé des haies lisières diversifiées avec des essences autochtones et adaptées pour les abeilles (saules, noisetiers, pruneliers, …), des vergers de cerisiers, poiriers, pommiers et quetschiers et des bandes florales mellifères. Il a aussi posé un certain nombre de nichoirs à oiseaux, d’hibernaculum et de pierrés. Ses parcelles contrastent avec les champs voisins de maïs ou de salade, elles y apparaissent comme un ilot plein d’éléments de biodiversité. Ses terrains sont en revanche parfois perçus négativement par les agriculteurs conventionnels avoisinants, qui trouvent que c’est le « foutoir » chez lui. Mais il arrive aussi qu’il reçoive du soutien, comme ce mot déposé sur son pare-brise il y a peu et qui mentionnait « merci pour la biodiversité ».
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La création d’une mare dans le cadre du projet TVB avec l’association Bio en Grand Est et la région Grand Est
Antoine a fait réaliser cette mare d’environ 500m²qui sert d’habitat aux batraciens, insectes et autres animaux. Cela ne lui apporte rien sur le plan économique mais il souhaitait redonner un milieu de vie à la biodiversité. Il a pu le faire grâce au soutien financier (à 82% du budget) du Conseil Régional et de l’Agence de l’eau dans le cadre de l’AMI Trame Verte et Bleue. Cette trame est intégrée au corridor écologique1 prioritaire du Giessen.
La réalisation de la mare a permis de « revaloriser » une parcelle colonisée par les ronces, orties et robiniers. Pour faire cette mare, il a fallu analyser la nature du sol, la perméabilité, l’intégration de la mare dans l’environnement de la trame verte et bleue, les espèces qui pourraient être intéressées par un tel aménagement, les espèces qu’il avait observé depuis 30 ans sur la zone, etc. Ajouté à cela, il a semé un mélange d’herbes plutôt hydrophiles donc adaptées au milieu humide. Plus en hauteur, il a semé un mélange de graines mellifères pour structurer un peu le sol (comme il s’agit de terres remaniées et qu’il y avait avant du remblai de gravats par endroit). Enfin, il a bouturé plusieurs saules tout autour.
2. La production d’un miel de qualité avec une attention portée aux abeilles et une gestion extensive du rucher
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Un miel récolté bien mûr et sans le chauffer
Antoine laisse le temps aux abeilles de travailler le miel jusqu’à qu’il soit bien mûr, c’est-à-dire quand celui-ci est bien operculé et qu’il a atteint un haut niveau de qualité nutritionnelle. Cela demande de bien observer et trier toutes les ruches avant récolte. Au contraire, beaucoup d’apiculteurs récoltent leur miel quand il n’est pas totalement terminé et perdent ainsi en qualité. Si le miel est récolté avant d’être totalement terminé, il aura un taux d’humidité au-dessus du seuil requis (17% d’humidité max.) et fermentera. Antoine préfère ne pas pousser intensivement ses ruches à faire toutes les miellées de la saison. Les colonies doivent connaitre une période de repos entre les miellées sinon elles risquent de se retrouver « sur les rotules » en fin de saison. Il se dit par exemple : 20 ruches feront de l’acacia, tant d’autres feront du châtaignier, etc. Une fois le miel extrait il ne déplace pas la ruche tout de suite. Et, pour défiger son miel, Antoine le travaille mécaniquement, en le malaxant sans le chauffer.
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- FOCUS : questions à Antoine à propos de sa pratique du déplacement des ruches face au désert floral
Pourquoi déplacer les ruches ? « C’est le désert floral en plaine, on est obligé de chercher les floraisons. » Un désert floral ? « Pour faire simple, en plaine les zones de cultures c’est du maïs, du blé… on constate une banalisation des paysages, et une perte de la biodiversité florale dans les secteurs de plaine. Donc il n’y a plus beaucoup de fleurs intéressantes pour les abeilles, ce qui leur provoque des carences en pollens et elles meurent de faim. Donc on est obligé de les déplacer. Mais bon, dans les montagnes parfois ce n’est pas beaucoup mieux : on a des forêts de résineux plantés (les épicéas notamment) et donc il n’y a plus grand-chose d’intéressant pour les abeilles2. C’est pourquoi, en apiculture, il faut aussi savoir jauger la flore environnante. C’est-à-dire qu’il ne faut pas seulement connaitre les espèces : ce qu’il faut c’est connaître l’intérêt apicole de ces espèces et le calendrier des floraisons ainsi que toutes les conséquences qu’il pourrait y avoir s’il se produit un gel, une sécheresse ou autre. Tout cela dans le but de réagir rapidement pour les abeilles, car sinon on risque d’avoir de mauvaises surprises. » Ce déplacement a-t-il un impact sur la santé des abeilles ? « C’est vrai que déplacer les abeilles ce n’est pas anodin. Si on laissait les ruches en place ça serait un stress de moins. »
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Pour la gestion du varroa : traiter suffisamment tôt et donc ne pas viser à tout prix la production de miel
Pour traiter ce parasite des abeilles, Antoine utilise des produits autorisés pour l’agriculture biologique. Quant au choix de la période de traitement, Antoine faisait comme la majorité des apiculteurs biologiques : il attendait que le pic de varroa soit assez élevé en début août. En traitant tard, l’idée sous-jacente est d’avoir des colonies avec de grandes populations actives qui produisent du miel en quantité. Mais Antoine a remarqué que dans ce cas, si jamais le traitement automnal n’a pas été pas assez efficace, le varroa reste à un niveau qui repart assez vite. Or cela peut provoquer l’effondrement de la colonie. Donc il a appris à faire autrement. Désormais il n’attend plus le mois d’Août pour faire un traitement, il le fait dès le mois de mai entre les miellées de façon à faire retomber la pression varroa sur un seuil beaucoup moins élevé. Ensuite le varroa repart de façon exponentielle mais il y a déphasage qui fait qu’en fin de saison il y a beaucoup moins de varroa que s’il attendait le mois d’Aout. Sachant qu’en décembre il refait un traitement pour essayer de passer l’hiver. Pour autant, ça n’empêche pas des pertes d’abeilles. En hiver il perd en moyenne 10 à 15% d’abeilles et en saison il faut renouveler les reines. Donc il faut renouveler au moins un tiers des colonies chaque année. Alors, en complément du traitement, il procède à la sélection des abeilles les plus résistantes via l’élimination des plus sensibles aux virus (virus qui profitent de la présence du varroa).
3. La transformation d’une partie de la production en vinaigre et nougat de qualité
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La transformation pour diversifier sa production
Antoine ne cherche ni à intensifier sa production de miel ni à s’enrichir excessivement. Ce qu’il souhaite c’est un revenu décent, tout en restant sur un modèle à taille humaine (pas une industrie sur grande échelle). Ainsi, il utilise une partie de sa production de miel pour la transformer en nougat et vinaigre. Diversifier ses produits lui permet alors de produire moins de miel tout en obtenant un chiffre d’affaires acceptable (à condition de rentabiliser le matériel de transformation). En effet, il est possible de n’utiliser que peu de miel pour faire un produit transformé. Par exemple pour le vinaigre il ne faut que 10% de miel par rapport au produit fini. De plus, cela permet d’avoir d’autres produits à vendre dans les périodes creusent où il n’y a plus de production de miel mais où il y a encore un peu de stock de vinaigre ou nougat. Antoine n’a donc pas besoin d’augmenter sa quantité de ruches, qui autrement devrait au moins atteindre 300 ou 400 ruches.
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La fabrication du vinaigre à l’ancienne, maintien d’un savoir-faire artisanal face à l’industrialisation du vinaigre
Antoine fait partie des quelques producteurs de vinaigre artisanal. Pour le fabriquer il utilise la méthode dite orléanaise. Il s’agit d’une méthode ancienne qui contraste avec les procédés industriels qui dominent le marché actuellement et qui ont fait chuté le prix et la qualité des vinaigres. Cette méthode à processus long permet d’obtenir une bien meilleure qualité de vinaigre vivant et naturel (qui présente de multiples vertus, y compris sur le plan médicinal). Cette différence de qualité réside notamment dans le procédé de fabrication. Par exemple, en industrie (autant en conventionnel qu’en bio), quasiment tous les vinaigres sont réalisés en quelques semaines. Tandis qu’avec cette méthode le vinaigre se fait en 16 mois.
4. Une volonté d’autonomie, de gestion et de rationalisation du travail, et de diminution de l’impact écologique de ses activités
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Une démarche progressive afin de se libérer du temps pour d’autres activités
Antoine consacre beaucoup de temps à son activité professionnelle. Pour le moment il est à 75% en apiculture et 25% en génie écologique. Avant c’était l’inverse, son activité de conseil lui prenait la majorité du temps. De plus, en parallèle il a une intense activité d’administrateur au sein d’associations locales apicoles, agricoles ou de conservation de la nature. Il a donc peu de temps libre. C’est pourquoi il se trouve désormais dans une démarche progressive de rationalisation de son travail afin de trouver des techniques qui lui permettraient de se dégager un peu de temps. Il souhaite en effet se consacrer à d’autres activités que l’apiculture. Aussi, il a besoin de plus de temps pour bricoler du matériel dans le cadre de son activité apicole qui est vaste. D’ailleurs il espère embaucher quelqu’un pour l’aider.
Une technique qu’Antoine emploi pour gagner du temps dans sa gestion du varroa est l’utilisation de ruches « divisibles ». Ces ruches peuvent se diviser en deux et disposent de cadres qui ont tous la même taille. Tandis qu’avec des ruches non divisibles le renouvellement de cheptel et la gestion du varroa sont plus longs et compliqués : il faut en prélever une partie, la mettre dans une ruchette, puis transférer cette ruchette dans une autre ruche, etc.
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La pratique de la sélection massale : autonomie dans l’élevage et la gestion de la diversité génétique des abeilles
Antoine n’a jamais souhaité élever l’abeille « noire », dénomination donnée à l’abeille sauvage et locale. Selon lui, l’abeille noire dans le milieu naturel a totalement disparu, ce qu’il en reste se trouve uniquement dans des croisements. Le seul moyen de trouver l’abeille noire étant de l’importer d’élevages faits sur des îles telles que l’île d’Ouessant. Or une abeille provenant d’une île n’est pas forcément adaptée à l’environnement alsacien. Donc, pour garder la diversité génétique de ses abeilles, Antoine a suivi plusieurs formations qui lui ont appris à réaliser la sélection « massale ». C’est-à-dire que sur l’ensemble de ses abeilles il sélectionne celles qui lui convient en fonction de différents critères, notamment la production, la douceur, voire la tolérance face aux maladies (mais pour la résistance au varroa il pourra vous expliquer pourquoi il doute de pouvoir fixer ce caractère).
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Des activités actuellement situées sur des lieux différents, qu’il prévoit de regrouper
Antoine dispose actuellement de deux bâtiments de travail. Il extrait le miel dans une miellerie collective (qui regroupe des semi-professionnels et beaucoup d’amateurs) et il opère la mise en pot chez lui. La mise en pot prend du temps et la préparation des commandes des magasins aussi. Alors le problème est qu’en saison cette distance entre ses activités lui fait perdre du temps qu’il pourrait consacrer à la récolte ou à d’autres activités. C’est pourquoi, son projet est de centraliser son travail dans un même lieu. Pour cela il a acquis un terrain et fait bâtir un bâtiment de 500 m2 qui est actuellement en travaux. Il espère qu’il pourra mener ce projet à bien car, compte tenu de la forte augmentation des prix des matériaux, le coût de ses travaux a été revu très à la hausse et pourrait l’être encore.
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Circuits-courts, bâtiment autonome en énergie solaire, transport bas carbone, gestion de l’eau : la transition de la ferme est en courant
D’une part, Antoine cherche à diminuer sa consommation d’énergie. La centralisation de ses activités permettra d’aller dans ce sens. De plus, pour la commercialisation il choisit au maximum des circuits-courts : il vend ses produits dans le secteur ou vers Strasbourg principalement dans des magasins de producteurs ou des magasins spécialisés bio. Il vend aussi au marché à 300m de chez lui.
D’autre part, il souhaite diminuer ses émissions de gaz à effet de serre. Dans ce but, il souhaite que son futur bâtiment autoproduise l’énergie consommée par la ferme. Il y installera des panneaux photovoltaïques. Concernant le chauffage, celui-ci fonctionnera avec le bois issu de ses forêts ou de l’entretien des vergers. Ensuite, pour le transport de sa production, il utilise pour l’instant un véhicule thermique mais souhaite passer à l’électrique. A ajouter qu’il se rend au marché avec un vélo-triporteur dans lequel il charge le miel et des tables pliantes. Enfin, pour sa gestion de l’eau, il compte récupérer de l’eau pluviale et l’excès d’eau sera infiltré directement sur site.
1 Corridor écologique : un espace permettant de reconnecter certains habitats d’espèces qui avaient été fragmentés. En effet, les activités humaines ont conduit au morcellement des paysages dans de nombreuses régions.
1 à ajouter qu’en printemps-été les arbres subissent de plus en plus de sécheresses (y compris en montagne) et parfois des gels, ce qui peut stopper leurs floraisons précocément avant la fin de l’été.
Entretien et rédaction : Yanis Nothias
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